L’art du Storytelling

Entretien avec Guillaume Lamarre

Elliott Aubin

Elliott Aubin

On peut difficilement prétendre s’intéresser au storytelling sans solliciter Guillaume Lamarre, l’auteur du best-seller “L’art du storytelling” (ed. Pyramyd) et fondateur de Sherkan Conseil, agence de conseil en communication.

Quelles sont les clés d’un storytelling réussi ? Comment réussir à alimenter une réflexion créative capable de renouveler les récits ? Est-il alors question d’art ? de technique ? de méthode ?

Retrouvez ici toutes les réponses à vos questions sur le storytelling !

Fondateur de Sherkan Conseil, auteur, conférencier… Peux-tu nous donner quelques éléments de présentation de tes activités et de ton parcours ? 

J’ai été conseiller éditorial et directeur artistique pendant quinze ans dans un groupe de presse qui s’appelle le groupe Moniteur, spécialisé dans l’architecture, la construction et les collectivités locales. Je m’occupais de stratégie de contenus, que ça soit au niveau du print et évidemment au niveau du web. Je suis un spécialiste de la mise en scène de l’information, donc c’était vraiment mon créneau et c’est là dessus que je me suis positionné depuis plus de dix ans maintenant. 

J’ai par la suite passé un diplôme à Sciences-Po Paris en communication et c’est là où je me suis spécialisé dans deux domaines. Le premier, c’est le storytelling, la communication narrative. Le deuxième  concerne le management de la création et de la créativité. J’ai écrit plusieurs livres sur ces sujets.

Je passe beaucoup de temps à former des professionnels, que ce soit des professionnels de la communication ou du marketing. Je travaille autant pour des grands groupes que pour de plus petites structures et je coache aussi des indépendants. J’interviens également parfois sur France Inter. 

Une première question autour du titre de ton livre … le storytelling est donc un art ? 

(rires) 

Alors, oui. Mais non. Le storytelling, c’est surtout une technique. 

Quand je parle de technique, je fais référence ici à la poétique, c’est-à-dire, l’ensemble des techniques mises en œuvre pour créer un récit. Quand on parle d’art, on a parfois l’image de l’artiste isolé touché par la grâce dont l’inspiration serait absolument spontanée, soudaine. Mais en réalité, je l’ai vu chez tous les écrivains et les artistes que j’ai rencontrés, ils mettent en pratique des outils, donc une technique, au service de cette création artistique. L’inspiration est dès lors, surtout une récompense du travail. Il faut donc entendre ici l’art, au sens, de l’art de l’artisan. 

 

Le sous-titre “Manuel de communication” sous-entend cette notion technique. D’ailleurs ton livre propose une démarche très pratique pour réussir à franchir toutes les étapes d’un bon storytelling. 

Le storytelling est donc une méthode ? 

Non, en réalité on ne peut pas parler de méthode. Parce que si tu mets en pratique une méthode ou une recette une fois, et que tu décides de l’appliquer de la même manière une seconde fois, même si ce n’est pas pour le même client, le même secteur d’activité, il y a de fortes chances que tu tombes sur les mêmes pistes, les mêmes connexions. Alors oui, c’est vrai, c’est très contre-intuitif, c’est très compliqué.

En revanche, on peut parler d’outils. 

Quand tu vas initier un travail pour un client, très vite, dès les premiers échanges avec tes interlocuteurs, tes clients, tu vas avoir des premières intuitions de ce à quoi va ressembler le résultat. Je conseillerais davantage de suivre cette intuition et de lui adosser des outils, plutôt que de l’éteindre avec une méthode stricte. 


Même si ce n’est pas transposable d’un projet à l’autre, on a quand même des leviers similaires, des passages obligés dans un storytelling ? 

Oui absolument. Le storytelling c’est un outil éditorial, un outil de communication narrative. Cet outil va te permettre de hiérarchiser, de structurer et de formuler le propos. Le storytelling c’est transmettre un message sous la forme d’un récit. Alors, en communication, il faut se nourrir de toutes  les productions de fictions, dans le cinéma, dans les séries, dans l’art pour comprendre ce qui constitue une bonne histoire. Et essayer de les appliquer, de les adapter à notre propos afin  de transmettre un message.

 

Tu évoques dans ton livre, que le storytelling doit évoluer avec le fait qu’une marque a de plus en plus de points de contact avec ses cibles. Comment construire dès lors ce récit permanent d’une marque à travers des canaux différents, des temps différents, des cibles différentes ? 

Il faut partir du principe que tu as une forme de “méta récit”, autour de la mission et de la vision de la marque. C’est à dire qu’il y a forcément quelque chose qui doit être transmis tout le temps  en fait. A chaque fois que tu racontes quelque chose, à chaque fois que tu vends un produit dans la manière dont tu le vends, à chaque fois que t’es en contact avec ton service client. Ce méta-récit est au service d’une grande idée ou d’un grand message.

C’est toute la différence entre la stratégie et la tactique. C’est Kasparov qui dit ça (le champion d’échecs), la stratégie aux échecs, c’est ce que tu fais quand tu n’as rien à faire. Et la tactique, c’est ce que tu fais quand tu as quelque chose à faire. Donc en fait, la stratégie, c’est ce que tu poses au-dessus de tout. La tactique est au service de ta stratégie évidemment, qui peut et doit évoluer en fonction de l’environnement et du contexte. 

Évidemment, chaque étape de la tactique est forcément différente en fonction des événements tout en restant quand même au service de ta grande stratégie. 

 

il y a la plateforme de marque qu’on se donne, il y a les valeurs qu’on s’attribue, il y a finalement l’histoire qu’on se raconte en tant qu’ annonceur. Et puis après il y a l’histoire qui est racontée,celle des publics. Comment on gère ça ?

C’est assez complexe. Il n’y a pas de secret. Évidemment, à partir du moment où il y a un récit, il y a forcément un contre récit. Car dans tous les cas, une bonne histoire, c’est avant tout l’histoire de tes utilisateurs, de tes cibles. J’aimerais faire référence à Simon Sinek et son fameux cercle d’or, entre le what, le why et le how. 

Selon lui, le WHY importe plus que les deux autres. Mais à mon sens, pour que ton public se raconte la bonne histoire, il faut s’emparer du what et du how plutôt que du why, aujourd’hui. Avec les entreprises à missions, les politiques RSE, la législation, le why est presque devenu un passage obligé, comme payer sa taxe professionnelle.  

En fait, dans un premier temps, si tu veux raconter la bonne histoire, il faut que tu te concentres sur le “comment” et le “quoi” en fait. Et il faut construire en fonction de ça. Ensuite, éventuellement, si tu veux en rajouter un petit peu et expliquer les raisons pour lesquelles tu le fais, tu peux travailler sur le “pourquoi”. Mais ça, le public va le faire pour toi. C’est bien souvent le public lui même qui va te donner le why plutôt que toi.

En se concentrant surtout sur le WHAT, le WHY viendra naturellement. 

C’est ce qui va faire la différence entre une marque qui dépasse la simple notion de valeur d’usage et qui devient une référence comme Nike, comme Apple, Patagonia, etc.. 

C’est parce que, en fait, c’est toi qui mets le sens que tu as envie de donner à cette marque. 

Les valeurs, la raison d’être sont devenues des “tartes à la crème”. On retrouve souvent chez nos clients, la résilience, la performance, l’innovation etc… 

«Le storytelling c’est un outil éditorial, un outil de communication narrative.»

Toujours sur le sujet de la réception du public : La notion de storytelling peut paraître péjorative, synonyme de manipulation. L’objectif derrière ce livre, c’était de tenter de redorer l’art de la mise en récit ? de mieux l’expliquer ? 

Il y a un paradoxe. C’est à la fois perçu de manière péjorative, comme un instrument de manipulation – on nous raconte des histoires pour mieux nous faire avaler quelque chose – et en même temps, c’est la martingale, c’est à dire, que la mise en récit apporte de l’impact, de l’émotion à une communication, et c’est comme ça qu’on va toucher notre cible, ou à toucher un public que tu n’as pas l’habitude de toucher d’une manière différente.

 

A chaque fois que j’écris un bouquin, j’écris mes propres notices en fait. C’est sûrement très égoïste. Je pars du propos du designer. Je suis designer de métier, ça fait presque 30 ans que je fais ce métier là et ma posture, c’est toujours celle de celui qui veut créer une forme utile pour transmettre, pour communiquer, pour mettre en relation, pour mettre en commun les choses. Donc ça, ça a toujours été mon point de vue. Ensuite, par la force des choses, si  je me suis intéressé à ce sujet là il y a plus de dix ans de ça, et à l’époque où il n’existait qu’un seul bouquin en France qui était celui de Christian Salmon, à charge contre le  storytelling politique. Voilà, je me suis intéressé aussi à ce sujet là parce que personne ne s’y intéressait, mais tout le monde en parlait aussi déjà. 

C’est devenu un cheval de bataille : on a à notre disposition un outil éditorial pour s’inspirer des techniques des grands narrateurs, des grands storytellers. C’est une porte d’entrée pour nous, pour faire de la bonne communication. Parce que les attendus d’une bonne histoire, sont les mêmes que ceux  d’une bonne communication. 

 

Tu parlais de design et j’ai vu que tu abordais également souvent le design thinking. Comment ces deux outils peuvent être complémentaires ou comment les distinguer ?

Le design thinking c’est le “penser design”. Je parle pas des mecs en costume en train de mettre des posts its sur les murs. Pour moi, c’est plus aborder les choses comme le ferait une ou un designer. 

 

C’est-à-dire ? 

En tant que designer, notre façon de penser, notre façon de réfléchir les choses se font d’une manière spécifique. Il n’y a pas de fiche de cuisine à proprement parler. 

Il s’agit  plus d’une suite d’outils qu’il faut être capable de mobiliser, essentiellement, lorsque l’ on est bloqué, quand on ne sait pas par quel bout prendre les choses. Globalement, c’est ce à quoi tu es confronté perpétuellement. C’est à dire qu’en réalité, notre boulot, c’est de continuellement se poser la question de par quel bout je prends le machin et pourquoi j’y arrive pas là et comment je vais faire pour y arriver ? Donc par la force des choses, tu mobilises des choses qui s’inscrivent dans un processus créatif. 

En réalité, il n’y a pas de processus créatif empirique . Il y a un processus pour chaque projet qui va se lier, se délier de lui-même. Même  si tu vas passer par des étapes qui sont à peu près tout le temps les mêmes, mais en soi, ce ne sont jamais vraiment les mêmes. 

 

Ton top / flop de storytelling ? 

Pas évident de choisir, mon top en storytelling, mais si je devais en choisir un, ce serait cette campagne de 2019 au moment de la Comic Con de New York pour la chaîne de fast-food Wendy’s – peu connue en France. La marque à profité de la Comic Con de New York  pour lancer son propre jeu de rôle : « Feast of Legends ». Elle a édité un vrai livre de règles avec des personnages pré-tirés et des aventures à jouer.

En flop, ça n’est pas facile, mais il arrive quand même très souvent que les grandes campagnes de l’industrie automobile ne soient pas réellement à la hauteur d’un récit. Il y a bien entendu plein d’exception mais l’histoire se résume bien souvent à faire rouler une voiture dans des rues ou sur des routes plus ou moins imaginaires, futuristes ou tristement réalistes.

 

Si tu devais donner quelques conseils à des conteurs de récits en herbe, tu leur dirais quoi ? 

Le premier conseil, c’est d’écrire rapidement vos 50 premières histoires. Parce que, bien évidemment, elles vont être pourries. Il faut donc passer le plus vite possible à la 51ème histoire. Il faut se confronter à ce dragon le plus rapidement possible, évacuer tous les stéréotypes. Très vite, il faut être en mesure de se  constituer son propre arsenal. On n’apprend pas à nager par correspondance. Il faut se fabriquer ses propres recettes. 

 

Et le deuxième conseil, c’est que finalement, il n’y a pas grand chose à inventer. Les histoires sont déjà toutes là. Il y a juste à redécouvrir, à donner un point de vue, à raconter. 

Je pense que Shakespeare et Homère ont posé tout ce qu’on avait à dire. Et maintenant, charge à nous de reconnaître les histoires, les mettre en scène avec sa propre voix et le plus de justesse possible.



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